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Les instruments de musique - Le couple biniou-bombarde
Par Jean-Louis Demazières,
sonneur multi-instruments du Cercle Celtique An Alarc'h (note du webmestre...) __________ Plan de l’article (cet article étant particulièrement long, vous pouvez cliquer sur l'un des titres ci-dessous pour accéder directement au paragraphe concerné) I – Du XVème au XVIIIème siècle
La première trace écrite du mot biniou est "benny" et se trouve dans le catholicon breton, manuscrit de 1464, de Jehan de Lagadeuc. Dans une pièce de théâtre de 1557, La Vie de Ste Barbe&, on trouve le verbe «biniouan», signifiant : jouer de la cornemuse. Laurent Le Moing, de Plomeur, manoir Kergoz en Guilvinec est inscrit au registre paroissial en 1673 comme "moulurier et sonneur de vèze". Dans son dictionnaire breton de 1716, Dom Le Pelletier englobe deux instruments dans le terme «biniou» : "Se dit en particulier du hautbois et de la musette, instruments qui servent beaucoup en Bretagne à faire danser les paisans". A cette époque, musette était synonyme de cornemuse telle que la musette de cour. En 1732, Grégoire de Rostronen fait à peu près le même amalgame, mais détaille les différentes parties de la cornemuse :Haut bois : instrument à vent ou bombard Haut bois ou vèze ; : cornemuse, binèyou, bényeü – Ar sac’h binyou (la poche) – Ar sutell& (porte vent) – Ar lévriad (chalumeau) – Ar c’hornboud (bourdon) En 1800, le duo hautbois et cornemuse est attesté de façon irréfutable. II – L’implantation du couple au XIX ème siècle C’est en Cornouaille et en vannetais que l’on trouve le plus de couples de sonneurs. En Cornouaille : Mathurin Furic (Matilin an dall) et son compère Jean Pondré oeuvraient dans les années 1815. On a trouvé la trace de Matilin et Le Bris de Pont l’Abbé, qui, avec les Quiniou de Plogastel St Germain ont sonné au bal de Napoléon III à Quimper en 1858. François Le Boulic, de Rosporden, et Jérôme Le Bihan de Scaër, sont lauréats au concours de binious à Brest en 1895. Fanch Bodivit de Fouesnant et son compère Gestin à la fin du XIXè. Siècle ont sonné pour la fête des filets bleus à Concarneau. Une très belle carte postale les représente juchés sur une paire de tonneaux, entourés de belles en costumes somptueux. Il faut citer aussi François Salaün et son fils Auguste, des virtuoses de la bombarde. Jouer « perles de cristal » à la bombarde n’est pas à la portée de tous les sonneurs ! En Vannetais : Jean-Marie le Runigo et Jean-Vincent le Runigo, de Quiberon se faisaient accompagner d’un tambour. On les voit, sur les cartes postales de l’époque, sonner pour les sardinières des conserveries de la région. Dans le pays gallo, les couples de sonneurs étaient peu nombreux, sauf dans la région de Loudéac, entre 1820 et 1880. III – La répartition géographique des couples de sonneurs au début du XXème siècle Elle englobait principalement la Cornouaille du sud ainsi que le Vannetais, soient, en allant de l’Ouest à l’Est et du Nord au Sud, les régions de Brest, Moncontour, la presqu’ile de Crozon, Le pays Rouzic, Le pays montagne, Loudéac, Le Faoüet, Pontivy, le pays bigouden, le pays Glazic et de l’Aven, le vannetais bretonnant, et jusqu’à Redon. Les airs de danses traditionnelles se composent le plus souvent de deux phrases musicales de huit temps, ou six temps chacune : la phrase "A" , jouée deux fois, puis la phrase "B" , jouée deux fois également, ce qui donne le schéma "AA BB".
Le talabarder (joueur de bombarde) joue seulement une fois la phrase A que le biniou répète, même chose pour la phrase B, ce qui permet au premier de reprendre son souffle, et au biniouer de développer et d’improviser sur la phrase que vient d’exposer le talabarder. Ce couple est pour ainsi dire inséparable, et bien souvent dans la vie, les deux compères sont amis. A ce couple s’ajoute souvent un tambour. Olivier Perrin croque sur le vif à Kerfeunteun 160 dessins entre 1796 et 1808. On y voit des couples biniou-bombarde presque toujours accompagnés d’un tambour. La cornemuse a un lévriad très court. V – Les occasions de sonner Etre sonneur, c’est faire un métier rétribué : c’est bien souvent un second métier. Il n’était pas pensable de faire cela pour la gloire, compte tenu de la dureté de la vie à l’époque, et même encore aujourd’hui, cela reste vrai. La partie profane des pardons est l’occasion de danser, donc binious et bombardes y sont présents. Ainsi, Dubouchet, en 1894, écrivait au sujet du pardon de Moncontour : Quant au pardon de Saint Mathurin, il ressemble moins à une cérémonie religieuse qu’à une adjudication du Paradis. Le lundi de la Pentecôte, une foule de paysans en costume de fête conduisent leurs bœufs vers Moncontour pour leur faire toucher le buste reliquaire du saint et invoquer sa protection contre la folie… Des danses s’organisent sur l’esplanade des Granges, danses qui se prolongent souvent 3 ou 4 jours. Depuis au moins 1830, le cérémonial des danses n’a pas changé : les sonneurs occupent le centre de l’esplanade du château des Granges, assis sur des chaises, une table ou une estrade décorée de feuillages. A cette occasion, un règlement a même été édité : celui de 1893 appelle les "populations voisines et les étrangers à prendre part aux danses anciennes du pays, qui sont le rond, le bal, la dérobée, exécutés avec une bonne musique champêtre, ladite musique étant invariablement composée d’un biniou, d’une bombarde, et d’un tambourin" (Le Sonneur, 31 mai 1893) La Royale, sous l’ancien régime, et sous la République a toujours encouragé la pratique des binious sur les vaisseaux, afin, disait l’Amirauté, de palier le mal du pays que ressentent les bretons loin de chez eux. Il en reste quelque chose aujourd’hui : Le Bagad de Lanbihoué. L’armée de terre, à l’occasion de la Grande Guerre, a commandé des binious et bombardes aux tourneurs professionnels, pour les mêmes raisons. Les travaux agricoles sont l’occasion de sonner, pour les fêtes de la Saint Jean, les foires, les battages, et surtout la fête de l’aire neuve. Périodiquement, la terre battue de l’aire à battre, et même celle des habitations devait être renouvelée, retournée, et donc aplanie. Le moyen le plus simple alliant efficacité et plaisir était de faire danser les gens dessus. Le propriétaire commandait donc un couple de sonneurs pour entraîner les danses. Mais l’activité principale des sonneurs, c’était la noce, celle qui rapportait le plus. Léon Braz de Carhaix en anima 5000 entre 1900 et 1930. Jean-Marie le Breton du Faoüet, pour la même période, assurait en moyenne 2 noces de trois jours par semaine, huit mois par an. Le couple Gueguen – Bodivit de l’Aven en faisait dix par mois en 1930. Le sonneur ne chômait pas à la noce : dès le matin, il fallait aller chercher la mariée, animer le cortège pour aller à l’église, sonner les danses d’honneur à la sortie, après cela, honorer tous les bistros du bourg…, sonner lors du repas à l’occasion de chaque plat servi, sonner pour les danses jusque tard dans la nuit, et l’on remettait ça le lendemain et le surlendemain, cérémonie religieuse en moins. Le troisième jour était réservé aux pauvres de la paroisse, servis par les mariés eux-mêmes. En plus d’être sonneur, il fallait être animateur ! La "folklorisation" des traditions bretonnes dès la fin du XIXème siècle entraîne l’organisation par les notables citadins de concours de binious. En Haute Bretagne, il n’y en eut que cinq :
Par contre, en Basse Bretagne, il s’en organisa bon nombre :
De nos jours, les concours de binious sont organisés par la BAS (Bodadeg ar Sonerion, l'Assemblée des Sonneurs qui fédère sonneurs et bagadoù de Bretagne et d'ailleurs – voir ici pour plus de renseignements) à Quimper, depuis 1949, par pays, (Vannetais, Cornouaille, Centre Bretagne). La finale a lieu à Gourin : c’est le championnat de Bretagne des sonneurs de couples. Depuis, les concours éliminatoires ont lieu dans les pays concernés. VI – Les tourneurs d’instruments aux XIXème et XXème siècles Il en existe deux sortes : les amateurs, dont la production est limitée et régionale, et les professionnels . Parmi les amateurs, citons, en pays Rouzic, Pierre Douguet, dont les bombardes avaient une ligne très esthétique. Le pays bigouden en hébergeait bon nombre : René Briec (1900), Jean-Marie Le Roux, dit Rouz Coz, de Peumerit, né en 1860, René Le Berre, de Plozévet, Corentin Le Goff, né en 1870, qui tournait des lévriads à 6 trous, Gouret, de Plozévet qui faisait des instruments sans clefs. Dans le Vannetais, il y avait Michel Guyonvac’h de Crac’h, Louis Hubert, de Sainte Brigitte, Yves Le Diberder de Carnac. Parmi les professionnels, le plus célèbre est Jean-Pierre Jacob de Lorient, qui eut l’occasion de fournir des instruments aux armées. De Lorient également, Garrec. Citons encore Le Chenadec, Robic et Guellec. Charles Le Goffic est le premier à introduire en Bretagne "the great highland bagpipe", en 1895. Viennent ensuite Jean Guillerm de Belle Isle en Terre, Marcel Weiss et Marcel Le Bouc à Paris, Marcel Boulic de Riec sur Belon, Gildas Jaffrenou, puis Hervé Le Men à Paris en 1928. On retrouve ce denier au sein de la "Kenvreuriez Ar Viniouerien", la fameuse K.A.V. (Confrérie des sonneurs de binious), fondée à Paris en 1932. Les membres fondateurs en sont : Hervé Le Men, Robert Audic, et un certain Dorig Le Voyez… Après la Libération, combien de sonneurs n’ont-ils pas acheté qui une bombarde, qui un "biniou braz " tournés par Dorig Le Voyez"! En 1937, à la KAV, il y avait 4 binious vraz (nom donné à la cornemuse écossaise), 2 binious cozh (le biniou breton), 3 bombardes et 1 tambour : Le premier bagad de l’Histoire était né…à Paris ! Mais comme chacun sait, Paris est capitale de la Bretagne ! La KAV existait encore dans les années 1980, présidée par Charles Plestier. Ce dernier a collecté en son temps plusieurs instruments anciens et il a fait refaire par un tourneur des binious cozh et bombardes conformes à l’échelle des gammes desdits anciens instruments, c’est à dire en gamme non tempérée (ce qui n’est pas le cas des binious vraz et bombardes utilisés en bagad, qui eux sont bien tempérés, qui est la gamme du piano) Et que fit Charles Plestier ? Il reconstitua un bagad avec binious cozh et bombardes : unique en son genre, mais légèrement discordant… Il eut le grand mérite de nous faire découvrir les instruments anciens (je sais tout cela car j’en faisais partie) VIII – Les instruments En général, les essences de bois utilisées sont l’ébène et le buis. On a retrouvé des instruments en ébène incrustés d’étain, plutôt en Cornouaille, alors qu’en Vannetais ils étaient tournés de façon plus simple en buis, avec des bagues en ivoire, en os ou en corne. Les bombardes étaient soit en deux morceaux ; le corps et le pavillon, soit en trois, le corps étant composé de deux morceaux. En Vannetais on a retrouvé nombre de bombardes à 6 trous, au lieu de 7, et sans clef. Ceci dit est également vrai pour le biniou. Le chalumeau (lévriad) sonne un octave au dessus de la bombarde, et le bourdon (c’horn boud) un octave sous la bombarde, et donc deux sous le lévriad. La poche de cuir était faite en peau de veau, et parfois en peau de chien (c’est ce qu’on raconte. Si Brigitte Bardot lit cela !!!) La particularité de la peau de chien est qu’elle ne transpire pas, alors que pour un autre cuir, il faut impérativement l’imperméabiliser de l’intérieur avec du gras animal, ou actuellement avec un produit fabriqué en Ecosse pour le bagpipe. Les anches de bombardes et lévriad sont doubles comme pour le hautbois ou le basson, le plus souvent en roseau, parfois en buis, ou même en corne. L’anche du bourdon est dite "battante", faite d’un tube de roseau ou de sureau dont on a refendu une lamelle sur le côté. Globalement, les tonalités des instruments étaient réparties suivant le pays : en La ou La bémol en Vannetais, en La ou Si bémol en Cornouaille (Aven, Glazic, Rouzic) en Si ou Do en pays bigouden. Il se peut que ce ne fût pas une règle absolue Jean–Louis Demazières
Date de création : 11/07/2011 @ 17:07
Dernière modification : 12/07/2011 @ 18:55
Catégorie : Les instruments de musique
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